Antoine Thirion

VIENNALE 09 : A OU PAS

À propos de Das Letze Jahr de Klaus Wyborny et des symptômes de la programmation


 

30 octobre. Alors que la grippe, A ou pas, décime les rangs parisiens, on se demande encore, ici, comment écrire. Quoi écrire d’ailleurs. Peu de films excitants. Hier soir, celui de Klaus Wyborny, Das Letzte Jahr (L'Année dernière). Il s agit d un journal de l'année 2003-2004 constitue de plans courts, d´images aimées sans autre justification, vaguement montées sur le souvenir des Fastes d'Ovide. Images faibles a nouveau : fleurs, rivières, vaches et chevaux, vues du balcon, arbres dégarnis par l'hiver, en alternance avec des plans de sculptures grecques et de ruines pour en dire une autre, le pressentiment et la progression d’une maladie. Chaque prise fond au noir comme une paupière retombe. Dite ainsi, l'idée n est pas nulle. Mais vite pénible. Douloureuse a voir, on s’en doute. S’intercalent donc d’autres notes, d’autres plis, citations, hommages divers - d'Eugene Boudin a Kurt Kren. Mi-journal filmé, mi-film structurel. Plans sans autre nécessite que celle que leur donne leur combinaison au montage dans l’avalanche de notes de piano et le mélange d'inéluctabilité et d'éternel retour des cycles saisonniers. On pourrait s’en tirer en disant que certains journaux ont vocation à être lus et d'autres pas. Ce serait supposer qu'il y a des vies intéressantes et d'autres non, des voix qui passionnent et d'autres qui ennuient. C’est un peu ce qu'on se dit en sortant de la salle. Le lendemain s'y ajoute la désagréable impression que ce journal se fonde sur l'idée que la routine n 'a besoin d aucune justification d'art, que la vie suffit à faire un film, mais qui en pratique produit l'inverse. C'est à dire ajoute au lit d'images faibles des signes forts, charges de références et d'intelligence sous entendue. Entre la banalité quotidienne et le temps des mythes et des grands hommes, rien. Des choses vues chaque jour pour dire que le présent est fuyant, mais soutenues par la beauté éternelle des grandes âmes. Le climat se charge parfois de la puissance de destruction des temps antiques, les sculptures se soumettent parfois a la douceur affectueuse d’un simple balayage du regard, mais entre ces deux temps, c’est a peine si l’on sait ou l’on se trouve. Ici, ailleurs, nulle part, dans la mélancolie – et celle ci ne peut fonctionner qu'a condition d'être dirigée vers un objet, et non comme ici sauter de la divagation poétique à l’auto parodie assumée en fixant toujours les mêmes choses d’un air vague.

Les choses sont certes moins simples que nous le laissons penser. Klaus Wyborny est une figure importante du cinema expérimental européen, un chainon entre le nouveau roman et la tradition structurelle, partagée entre Etats-Unis et monde germanique. Forme aux mathématiques, auteur de films réputés comme Dallas Texas - After the Gold Rush (1971), The Birth of a Nation (1973) ou Pictures of a lost world (1975), il assista Herzog sur Kaspar Hauser et enseigna un temps à CalArts. Jim Hoberman l'adoube : « If Wyborny's work is a harbinger, the European avant-garde is surely in the midst of a full-scale renaissance ». Mais ce qu'on a pu en voir ressemble davantage à une version germanique d'Alain Cavalier, sommet de l'avant-ringarde, de la tectonique affective, d'une DV pressée de vous lécher l'oeil, de la complaisance intellectuelle. L'existence de Das Letzte Jahr doit parait-il beaucoup à Hans Hurch, le directeur de la Viennale. Ce qui amène a formuler quelques uns des problèmes de la Viennale. Belle idée que de proposer une sélection profuse, variée et mise a plat dans des sélections non-compétitives, du cinema expérimental au film hollywoodien, séries A, B, Z. Mais puisqu'il faut bien tracer des lignes, «fiction», «documentaire» et «courts-métrages» reprennent du service. Puisque non-compétitives, les sections accueillent films récents et ressorties, hommages. Bonne idée. Moins bonne, qu'elles soient les lieux ou se mêlent aux meilleurs films des abonnes qui semble échapper a la sélection sur pièce, tel Wyborny. C'est un risque qu’on connait bien. Parce qu'il mine Cannes et beaucoup d'autres festivals diriges par des personnalités fortes, parce qu'il guette aussi chacun d'entre nous. Dernier problème de cette mise à plat : elle porte paradoxalement une idée non-historique du cinema, où les jeunes cinéastes sont appelés à rejoindre des figures tutélaires laissées a leur sort. Idée anti critique ou la Viennale veut rejoindre les origines des cinémathèques, Hurch Langlois, ce qui n’est pas étonnant dans la plus grande ville musée du monde.

À cet égard, ce qu'a réalisé Dominique Marchais est impressionnant. Le Temps des grâces est celui de l'amour, de l'harmonie et de la fertilité, célèbre par la peinture du dix-huitième siècle que visent de beaux derniers plans de prairies ensfumatées. Il faut du courage pour ne pas abandonner le monde paysan au regret de la Vieille France. Il est terrible qu'il faille encore des films pour vous apprendre que les agriculteurs parlent bel et bien.

 

Antoine Thirion, "Independencia", 30. 10. 2009